Cela faisait plusieurs trop longues semaines que j’attendais le bon créneau pour pouvoir sortir le bateau en baie de Morlaix ou rade de Brest à la recherche de mon partenaire préféré, Dicentrarchus labrax.
Les conditions météorologiques extrêmes que nous connaissons en Bretagne Nord depuis début mai ne m’avaient jusqu’à présent pas permis de prendre la mer : trop de vent, trop de pluie, estuaires désertés par les poissons en raison de l’apport excessif d’eau douce lié aux nombreuses crues des mois de mai et juin…si si c’est possible !!
On le sait bien, les trois principaux facteurs limitant la pratique de la pêche à la mouche en mer sur nos côtes sont :
- La force du vent : au-delà de 30 km/h, 16 nœuds, 4 Beaufort de vent, la pêche à la mouche devient plus difficile à mettre en oeuvre et n’est possible que pour les meilleurs lanceurs, habitués aux cannes très puissantes, aux soies très plongeantes et aux conditions un peu extrêmes.
- La clarté des eaux et leur propreté : avec les crues à répétition, les estuaires proposent des eaux chargées en sédiments qui réduisent l’efficacité des mouches, car les poissons chasseurs répondent prioritairement à la vue. Par ailleurs, les forts coefficients (au-delà de 85) et les périodes venteuses répétées ont tendance à mettre de nombreux débris végétaux (algues marines arrachées, ulves) en suspension, ce qui limite l’efficacité de la mouche (et également des leurres de surface) et éloigne souvent les poissons vers l’eau “propre”.
- Le taux de salinité des estuaires a un impact direct sur la présence poissons carnassiers, qui, à l’image des félins africains derrière les troupeaux de gnous, zèbres et autres gazelles, suivent la migration du garde manger !! Plusieurs séries de fortes précipitations sur un bassin versant déplacent le seuil de salinité tolérable pour beaucoup d’espèces et surtout pour le poisson fourrage, bien plus bas dans l’estuaire.
Mise à l’eau à 10h avec Simon Desmet, rédacteur du magazine belge De Vlaamse Vliegvisser, organe de la Fédération des Pêcheurs à la mouche Flamands (Federatie Vlaamse Vliegvissers) et son ami Koen, en Finistère pour un reportage sur mon activité de guide de pêche. Le vent est encore fort, ça clapote dur et je réduis les gaz pour ne pas tremper mes passagers.
Nous nous mettons à l’abri derrière Penn al Lann et en tout début de descendante, prospectons mes secteurs habituels des parcs à huîtres, bordures de fucus et fonds sablo-vaseux plantés d’herbiers, etc.
Les eaux, si elles ne sont pas translucides, sont suffisamment claires pour la mouche.
Pas la moindre chasse en surface, pas le moindre oiseau, pas la moindre tape. Les bars ne sont pas là.
A la recherche d’activité en surface (© Simon Desmet)
Nous passons en soies plongeantes et je fais quelques dérives sur d’autres “hot spots” sur des fonds de 4 à 6 mètres. Toujours rien.
Simon et Koen pêchent pourtant très bien et je désespère un peu. Encore trop tôt ? Avec l’avancée du jusant, le vent faiblit un peu et je décide de sortir un peu et de tenter le coup en zone “plus marine”.
En prospectant un de mes courants préférés en sortie de parcs, et tandis que je maintiens le boat à l’électrique, Simon enregistre une première touche en 350 grains. Le poisson est attelé et semble méchant, la Winston BIIIX 9’#10 plie bien et je me dis que c’est peut-être gros.
Finalement, le poisson est mis à l’épuisette une bonne minute plus tard et il ne fait pas plus de 1,5 kg. Un bon début. Il a profondément avalé la Softy Sand Eel et s’est piqué dans les ouies et saigne un peu. Rien de bien grave quand on connaît la résistance du bar. Simon sort le poisson de l’épuisette et veut le rincer par-dessus bord pour la photo. Je sens mal le coup et le poisson lui échappe ! Damned !
Nous continuons dans des conditions limites : le courant s’accélère et le niveau baisse. Koen enregistre une belle touche sans suite, nous perdons 2 mouches et décidons de quitter pour
pêcher une bordure de chenal avant basse mer.
Sous l’oeil du Capitaine… (© Simon Desmet)
Koen touche un 45 cm dans une poche d’eau libre au milieu des sargasses et au ras du bord. C’est son premier bar à la mouche et le bonheur est à bord.
Face à la plage du Kélenn, Carantec (© Simon Desmet)
Après le pique-nique face à la plage du Kélenn, nous pêchons mes dérives et bordures favorites entre Callot et les Roches Jaunes et capturons 3 autres poissons, un peu plus petits, entre 45 et 35 cm, tous remis à l’eau délicatement, va sans dire.
Bilan de cette première sortie de l’année avec le soleil tant attendu : encourageant pour la suite avec une constatation évidente : en raison des taux de salinité réduits et de la faible température des eaux (14°C environ) qui ne favorise pas l’explosion zooplanctonique sous les parcs, le poisson fourrage n’est pas encore là et en tous cas pas en quantité suffisante à l’intérieur de l’estuaire pour attirer les poissons chasseurs. Les quelques sternes et rares fous de Bassan observés en patrouille au-dessus des parcs ont fait maigre pitance. C’est un signe qui ne trompe pas.
Il nous faut de la chaleur et moins de précipitations pour que les bars s’engagent franchement à l’intérieur de nos estuaires.
Pour l’instant, c’est en sortie de baie, là où l’eau est toujours claire et la nourriture toujours abondante dans les fonds à zostères, laminaires et autres sargasses que se concentrent les poissons.